Timothée Laine

La folle confiance

 

 

  La fable travestit le réel avec la grande ambition parfois
     – Et c’est ainsi que je la préfère – d’interroger nos incertitudes ;
     Harmonique au poème qui cherche à traquer l’impondérable
     Vérité dans la pulsation secrète des silences et des syncopes.

 

 

 

C’est un homme de paroles qui croise

une femme atteinte d’un cancer de la langue.

 

Elle a subi un curetage une fois la tumeur enlevée.

La mâchoire et la gorge ont été lourdement opérées.

 

Elle fume.

Et sourit.

 

Il ne comprend pas ce qu’elle dit. Il le devine.

Le bas de son visage brasse le vide de l’air.

 

L’homme de paroles se tait. Il se concentre

dans l’écoute. Il veut comprendre son secret.

 

Comment respire-t-elle sans peur, comment sourit-elle

au destin, alors que le destin ne semble pas lui sourire ?

 

L’homme a perdu l’habitude de l’articulation nue, légère

qui chatouille les dents comme une insouciante brise.

 

C’est un professionnel du feu qui jaillit des bouches.

Il sait le danger. Les brûlures, la nuit, des lèvres.

 

Les morsures, le jour, de la langue, parce qu’il y a la peur.

La peur de l’abomination, de l’ambivalence, de la barbarie.

 

Il se tait.

Mais il ne dit pas encore le silence.

 

Elle sourit : à lui ou au monde tout entier.

Elle a des yeux de faïence.

Elle est Lola.

Et Elsa à elle toute seule.

 

Elle est.

Belle vivante.

 

Claire

dans ses habits de neige d’été.

 

Il est sombre

dans ses habits de pasteur défroqué.

 

Elle parle l’humanité incandescente. Elle lui parle

la vie. Elle lui parle la mort. La vie et la mort délibérées.

 

La forme de la fumée nargue les narines de l’homme.

Elle lui souffle sur le visage une sorte de révélation :

 

Abolis la peur du futur, tu obliges l’instant à contenir

une part d’éternité, tu le transformes en un instant de grâce.

 

Cette première fable sera aussi la dernière. Elle réfléchit

la folle confiance de notre énigmatique quête humaine

 

Et ses hautes chimères…

(Il y en a de basses)

 

 

Poème inédit pour Zone Sensible N°5 « La fable aujourd’hui », sortie février 2017

 

 

Timothée Laine. Poète, auteur dramatique, lecteur, interprète de récitals de poésie ; pratique des expériences radicales qu’il nomme « Balbutiements », L’Atelier du Grand Tétras éditions ; mène un travail de recherche sur la relation entre le souffle, la parole et l’écrit ; propose une mise en espace de ses propres textes dans une performance qu’il intitule « Corps à corps poème(s) ». Dernière parution : « Empreintes » L’Atelier du Grand Tétras éditions.


Nelly George-Picot

2 COMMENTS
  • Margherita BERTONI
    Répondre

    Merci pour ce texte sensible et inspirant.

    1. Margherita BERTONI
      Répondre

      Merci pour ce texte sensible et inspirant. qui rend davantage perceptible notre énigmatique quête humaine .

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