Mohammad Reza Chafii Kadkani
Dormir d’un cil*
L’amour idéal a rendez-vous avec la présence implacable de l’aimée dont le pouvoir d’attraction tient de la mécanique des astres. L’attirance cosmique de la lune fige l’amant sur le promontoire du désir, sans qu’il puisse s’élancer au-delà de limites bien matérielles : le mur et la ruelle dont on ne peut dépasser le premier angle. L’image est celle d’une légende iranienne bien connue qui campe une panthère au bord d’une falaise lors de l’avènement de la pleine lune. Le félin, éperdu, demeure en proie à ce dilemme existentiel : vivre dans les affres la passion pour l’astre aimé ou bien se lancer vers le champ étoilé pour un ultime et fatal rapprochement.
J’ai un mot avec toi que je ne saurais dire
Et ce mal qui me brûle je ne peux le cacher
Tu es toute à tes mots, par la coupe de tes yeux
Je suis ivre à ce point que je ne sais t’entendre
Ta pensée me ravit, clair de lune dès le soir
Si ta robe d’union à mes mains se dérobe
Me voici clair de lune, tel que l’ombre d’un mur
Je ne peux aller plus loin que ta ruelle
Je brûle, loin de toi, au cœur de la nuit
Chandelle de l’aurore, sans dormir d’un cil
Je clame ta cruauté ô fleur car dans ce bois
Bourgeon d’automne je suis, je ne saurais fleurir
Ô prunelle qui me parle, entends de mon regard
… J’ai un mot avec toi que je ne saurais dire
Traduction par Reza AFCHAR NADERI
* Métaphore persane pour traduire l’état de celui qui ne peut s’accorder un moment de repos, serait-ce le temps d’un battement de cil.
Mohammad Reza Chafii Kadkani est né en 1939 à Nichapur, dans la région du Khorosan, en Iran. Poète mais aussi critique, éditeur, traducteur et professeur de littérature à l’Université de Téhéran, il est l’auteur d’une oeuvre considérable qui lui vaut d’être reconnu comme un poète national, l’un des plus importants de son époque. Il a notamment publié Musicalité de la poésie et Dans les ruelles de Nichapur.